Ephémère éternité

CRITIQUE Salle comble, Beausobre, pour le retour de Georges Moustaki, généreux et superbement accompagné. Très beau voyage en chansons.
Georges Moustaki chante «une éphémère éternité moment de grace et de beauté» dans son nouveau disque sortant ces jours, et l’on ne saurait mieux qualifier aussi son concert de jeudi soir Morges, qui s’est déroulé avec cette «tendre complicité» qu’il évoque dans la meme chanson et sait entretenir sans démagogie avec le public, certes plus tout jeune (disons que la moyenne d’age se situe autour de la quarantaine tardive) mais fervent et fredonnant souvent l’unisson, surtout ces dames… La dégaine toujours doucement nonchalante, tout de blanc vetu comme ses quatre musiciens, qu’il la courtoisie de présenter dès la première chanson (Je passe…), immédiatement suivie de l’illustre Ma liberté, Georges Moustaki ne va pas se contenter, la paresseuse, d’aligner les chansons les plus connues de son répertoire, meme s’il réserve une séquence «spéciale», seul avec sa guitare, ses «vieux machins», comme il les qualifie gentiment lui-meme, dont Le métèque évidemment.

En plus de deux heures de concert, beaucoup plus élaboré musicalement que lors de son précédent passage en nos murs (et nettement plus chatoyant aussi que son dernier disque), Moustaki se prend luimeme au mot après avoir chanté qu’ «il faut voyager», entraìnant le public dans une belle virée de Corfou Bahia ou d’Alexandrie Paris, via toutes les nostalgies et toutes les bonnes choses de la vie. La première des chansons de son nouveau disque qu’il insère dans ce périple, intitulée Le promeneur, d’ailleurs valeur d’autoportrait et résonne comme en écho au MéMétèque, en plus philosophiquement apaisé: «Il avait de dròles d’idées il avait le regard des sages mais ce n’était qu’un étranger simple voyageur sans bagages» … Si Moustaki n’a rien d’une bete de scène, si sa voix n’est surement pas des plus cristallines et si certaines de ses plus belles chansons (comme la poignante Sarah) ont trouvé de meilleurs interprètes (son ami Reggiani en l’occurrence), le troubadour levantin dégage en revanche un charme unique fait de douceur et d’élégant anarchisme; c’est un musicien souverain tant au piano qu’à l’accordéon (un très beau duo avec son saxo autour d’une paire de boucles d’oreilles oubliée sur un oreiller) ou la guitare et au bouzouki, enfin c’est un véritable auteur, meme sans prétention (il souligne au passage qu’il est «juste un chanteur»), avec la poésie de ses climats et la marque puissante, rythmique ou mélodique, de ses «tableaux» musicaux touches libertaires. Poésie et sensualité Oscillant entre nostalgie et joie de vivre, mélancolie lancinante naturellement liée la tonalité grave de la sensibilité balkanique (Il est trop tard) et fringale sensuelle retrouvant la part solaire du Méditerranéen (une irrésistible évocation de Bahia, où ses musiciens l’accompagnent au bord de la transe), Georges Moustaki prouve en outre, avec ses chansons récentes, qu’il garde un tonus de vieux garnement. l’orée de la septantaine, il exhume ainsi, non sans malice, une chanson composée alors qu’il avait 18 ans (Gardez vos rèves), la fraìcheur de laquelle n’a rien envier la plus allante et la plus saillante de ses nouvelles compositions, intitulée Quand j’étais un voyou et qui pourrait bien devenir un «tube» de plus. Dans une tonalité plus intimiste, l’enseigne du Carpe diem qui semble ordonner la vision du monde de l’auteur, le disque Moustaki (tel étant en effet son sobre titre) réunit quelques vrais bijoux, comme la chanson d’amour qu’il dédie Emma Thompson (laquelle lui répond suavement sur l’enregistrement), l’adaptation d’un très beau poème stoicien de Jean Prévost (Petit testament) ou encore cette Ephémère éternité préludant au non moins serein adieu annoncé de Je m’en irai peut-ètre. Généreux avec le public autant que la vie l’a été avec lui, Georges Moustaki multiplié, jeudi soir, les «bis» sans se faire prier, achevant enfin sur une double révérence Georges Brassens, d’abord avec Les amis de Georges puis avec Les copains d’abord, sous le meme signe de telle «éphémère éternité d’une tendre complicité»…